Mesurer le bonheur pour mieux penser l’avenir : l’initiative du Bonheur Réunionnais Brut

Source: The Conversation – France (in French) – By Louisiana Teixeira, Research associate (Economics), Institut de recherche pour le développement (IRD)

Pour qu’une réalité soit tangible, et pour pouvoir espérer, éventuellement la changer, encore faut-il pouvoir la mesurer. Mais que faire quand les indicateurs disponibles ne vous renseignent pas sur les paramètres que vous voudriez choisir comme moteurs de changements ?

Malgré de nombreuses critiques, le PIB reste, aujourd’hui encore, l’indicateur phare qui permet de jauger un territoire. Pourtant, la croissance économique qu’il indique n’est pas nécessairement synonyme de réduction des inégalités ou du bien-être de la population. Sur le plan environnemental, la quête de croissance économique semble également de plus en plus difficilement compatible avec un respect des limites planétaires.

Dès lors, il paraît nécessaire de ne pas se contenter de ce seul indicateur. Voici l’histoire, encore en cours d’écriture, d’une de ces alternatives, celle de la création de l’indicateur du bonheur réunionnais brut.

La possibilité d’une île moins dépendante ?

Ces dernières années, l’île de la Réunion a été traversée par diverses crises qui ont aggravé le sentiment de défiance envers le pouvoir centralisé en métropole et le monde de la recherche, tout en exacerbant, d’autre part le désir des Réunionnais de voir leur résilience territoriale renforcée, afin de rendre l’île moins dépendante des aléas extérieurs. Les prémisses de la pandémie de Covid-19 ont ainsi été vécues avec une certaine absurdité par les habitants de l’île, confinés au même moment que la France hexagonale, sans pourtant que le virus ait sévèrement touché La Réunion. Avant cela, le mouvement social des gilets jaunes s’était incarné dans ce territoire d’outre-mer avec des revendications particulières, mais aussi de rudes conséquences, des routes bloquées qui ont pu paralyser toute l’île et ses commerces.

Sur les côtes, enfin, cette dernière décennie, ce que l’on a appelé « la crise des requins » a également durablement entaché la confiance des habitants envers les scientifiques et les pouvoirs publics qui pouvaient peiner à expliquer la recrudescence d’attaques de requins et à trouver des solutions à cela jugées convenables pour la population.

Si l’on prend maintenant les indicateurs classiques pour brosser un portrait de l’île de la Réunion, la réalité dressée n’est pas très optimiste. Selon l’Insee, seule une personne en âge de travailler sur deux occupe un emploi, et la moitié des Réunionnais ont un niveau de vie inférieur à 1 380 euros par mois, ce qui place l’île à la quinzième position sur dix-huit dans le classement évaluant la richesse des régions françaises.

Pourtant la vie sur l’île demeure bien chère, avec des prix jusqu’à 37 % plus élevés pour l’alimentation qu’en France hexagonale. Ces derniers mois, la crise du commerce international en mer Rouge, avec les attaques répétées de navires par les miliciens houthis, ont, une nouvelle fois rappelé combien les Réunionnais pouvaient pâtir d’aléas extérieurs.

Mais les Réunionnais, eux, justement qu’ont-ils à dire de tout cela ? C’est notamment pour répondre à cette question, et penser des modèles de développement partant de leurs préoccupations, qu’est né, en 2020, le projet ISOPOLIS, à l’initiative de l’association réunionnaise ISOLIFE, de différents acteurs de la société civile (RISOM, le Réseau d’innovations sociales ouvertes mutualisées), et coordonné par l’IRD en partenariat avec le CNFPT (Centre National de la Fonction Publique Territoriale). Notre ambition commune était alors de créer un nouvel indicateur tourné autour du bonheur, afin d’évaluer les aspirations des sociétés réunionnaises. L’originalité de notre démarche réside entre cette nouvelle alliance entre différents acteurs de la société civile, de la science et de l’action publique.


Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». Abonnez-vous dès aujourd’hui.


Sur les traces du Bonheur National Brut

Pour cela, notre inspiration a avant tout été l’indicateur du Bonheur National Brut créé au Bhoutan en 1972. Si, de prime abord, peu de choses semblent rapprocher ce royaume bouddhiste niché sur les contreforts de l’Himalaya, de l’île tropicale de la Réunion, lorsqu’on regarde de plus près, on peut néanmoins trouver quelques points de ressemblance. Une population de taille similaire par exemple, et une même ambition de moins dépendre des pays extérieurs, l’Inde et la Chine pour ce qui concerne le Bhoutan, coincé entre ces deux géants.

Enfin, la Réunion comme le Bhoutan disposent de territoires où les écosystèmes préservés sont encore importants, particularité à laquelle semblent tenir les populations. En 2007, 42 % de la surface de la Réunion ont ainsi été sanctuarisés sous la forme d’un parc national, tandis que la constitution bhoutanaise, elle, impose de conserver au moins 60 % du territoire sous couverture forestière. Les deux pays ayant, de ce fait, une superficie habitable limitée, ces ambitions environnementales, peuvent, pour certains, apparaître comme un frein aux développements de nouvelles activités et à la croissance économique.

le temple de Paro Taktsang, niché à flanc de falaise, dans un paysage de reliefs forestiers typique du Bhoutan.
Aaron Santelices/Unsplash, CC BY

Mais le Bhoutan semble avoir décidé de ne plus privilégier celle-ci depuis la création, par son ancien roi Jigme Singye Wanchuck, de l’indicateur du Bonheur National Brut annoncé en 1972 et mis en place à la fin des années 1990. Inspiré par des valeurs spirituelles bouddhistes, le BNB est désormais un indicateur reconnu par l’OCDE et l’ONU et incorporé aux statistiques nationales du pays. Il a également été le moteur de divers projets de grandes ampleurs comme la quête de l’autonomie énergétique, et d’une empreinte carbone négative, et l’instauration d’une partie quotidienne du cursus scolaire des écoliers dédiés à l’éducation environnementale.

Concrètement, le BNB est le résultat de 250 questions posées sur neuf thématiques : le bien-être psychologique, la santé, l’éducation, l’utilisation du temps, la culture, la bonne gouvernance, la vitalité de la communauté, l’écologie et le niveau de vie.

Si nous avons conservé ces critères, nous avons néanmoins tâché de réduire le nombre de questions à 150, et fait en sorte d’adapter le questionnaire au cadre réunionnais, en ôtant par exemple, les interrogations liées au contexte bouddhiste bhoutanais, mais en ajoutant, à l’inverse, des questions sur l’impact de certains fléaux réunionnais, comme les cyclones présents du fait du climat tropical ou les embouteillages, omniprésents du fait de la quasi-absence de transports en commun sur l’île.

L’environnement : une clef du bonheur ?

Le questionnaire une fois établi, nous avons pu le tester auprès de 92 Réunionnais représentatifs de la société de l’île dans son ensemble (genre, âge, localisation géographique, niveau social…) à travers des séries d’entretiens d’une heure trente. Ce premier échantillon étant trop petit pour avoir une analyse quantitative représentative de la Réunion, il s’agissait pour nous avant tout, lors de cette première étape, de tester le questionnaire et d’avoir des éléments d’analyse qualitative.

Voici ce qu’il en est ressorti. Si plus de la moitié des personnes interrogées ont atteint un score de bonheur global supérieur à 66 %, des disparités sont également apparues. Les répondants de plus de 55 ans sont ceux qui présentaient par exemple les scores de bonheur les plus élevés. Le niveau de qualification, lui, semble en revanche ne pas être déterminant du bonheur.

Égalemennt, l’écologie, malgré des scores moyens de satisfaction plutôt faible, fait partie des domaines les plus déterminants, quand le niveau de vie et la gouvernance, eux semblent parmi les domaines les moins impactants pour les citoyens interrogés.

Parmi les impacts de l’environnement sur le bonheur général, nous pouvons par exemple noter que les habitants des régions centrales de l’île demeuraient les plus heureux. Or ces territoires escarpés sont bien plus verdoyants que les côtes, elles sous la pression de l’urbanisation, du fait notamment de l’augmentation de la population générale, qui a doublé ces cinquante dernières années.

Dans une nouvelle étude sur le bonheur que nous avons depuis réalisé auprès des lycéens, nous avons retrouvé cette importance de la biodiversité avec des scores de bonheur plus bas au sein des établissements scolaires où l’on ne trouve pas d’arbres, et donc pas d’ombre.

Les limites de l’exercice et les travaux futurs

Si ce premier test nous a donc permis de faire de l’analyse qualitative, nous tâchons désormais de pouvoir transformer l’indicateur en outil d’analyse quantitative à travers une collaboration IRD-Insee. Notre but serait, ainsi, de pouvoir rejoindre le cahier des charges des statistiques publiques, qui manquent, de leur côté, d’indicateur sur le bonheur et le bien-être.

Nous travaillons pour cela à réduire considérablement notre premier questionnaire à 20 questions, afin de pouvoir multiplier les portées de nos études, et nous sommes également en train de travailler à deux nouvelles études du bonheur réunionnais brut qui porteront sur 2000 Réunionnais pour la première, et sur 3000 lycéens pour la deuxième.

Le bonheur reste une idée neuve en statistique

Le Bonheur Réunionnais Brut en Une du Quotidien de la Réunion, le journal le plus lu de l’île.
Capture d’écran de la Page Facebook du Quotidien de la Réunion

« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » déclarait le révolutionnaire Saint-Just dans une allocution restée célèbre, prononcée en 1794 devant la Convention nationale. Si depuis lors, l’aspiration au bonheur est devenue une revendication plutôt consensuelle, le bonheur, reste cependant encore bien absent du domaine des statistiques.

Notre projet de Bonheur Réunionnais Brut demeure de fait le premier travail scientifique de reproduction du Bonheur National Brut en France. Et si dans d’autres pays comme le Brésil ou la Thaïlande, ou à l’échelle d’une ville comme Seattle, des travaux de chercheurs ont été réalisés pour tenter d’adapter cet indicateur, jamais cela n’a abouti à l’incorporation d’un Bonheur National Brut dans les statistiques officielles de ces deux pays.

Par ailleurs, si les indicateurs existants dans les statistiques publiques françaises sont généralement construits en France métropolitaine, puis adaptés aux outre-mer, notre démarche est la première à viser le contraire en proposant un indice né d’une expérimentation dans un territoire d’outre-mer, qui pourrait ensuite bénéficier à d’autres régions de France.

Mais travailler sur le bonheur n’est pas toujours aisé, en France notamment, où nous avons pu constater que le mot bonheur générait même un certain malaise, du fait notamment d’une certaine confusion entre bonheur et bien-être personnel. Considéré comme purement subjectif, le bonheur et toute étude statistique qui pourrait lui être consacré, ont dès lors tendance à pâtir d’un manque de sérieux.



Pourtant, notre questionnaire, à l’instar de celui du Bhoutan, ne pose pas une seule fois la question « Êtes-vous heureux ? », mais s’échine à proposer une analyse multidimensionnelle reposant sur un ensemble de critères, pour certains subjectifs, comme la santé mentale, pour d’autres objectifs et extérieurs, comme le niveau de vie, l’éducation, l’utilisation du temps. Deux approches qu’il nous semble crucial de coupler pour jauger du bonheur d’un individu. « Le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue », constatait avec humour l’homme politique américain Robert Kennedy. À travers l’indicateur du Bonheur, c’est bien le contraire que nous espérons faire.


Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.

Louisiana Teixeira est économiste et membre du Think Tank BSI Economics et a bénéficié du fonds européen de développement regional (FEDER) dans le cadre du projet ISOPOLIS.

Amandine Payet-Junot est membre présidente de l’Association de Psychologie Positive de l’Océan Indien.

Le projet ISOPOLIS a bénéficié de fonds européen de développement régional (FEDER)

Jaëla Devakarne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Mesurer le bonheur pour mieux penser l’avenir : l’initiative du Bonheur Réunionnais Brut – https://theconversation.com/mesurer-le-bonheur-pour-mieux-penser-lavenir-linitiative-du-bonheur-reunionnais-brut-226752

MIL OSI – Global Reports

Haïti, la fin d’un État

Source: The Conversation – France (in French) – By Jean-Marie Théodat, Maître de conférences en géographie physique, humaine, économique et régionale, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Haïti, première république noire, apparaît de nouveau dans l’actualité sous les traits d’un État aux abois, d’une société en proie à une violence multiforme.

Depuis le 11 mars 2024, le pays est sans autorité légale. Ses ports et ses aéroports sont fermés. La région métropolitaine vit au ralenti. Le premier ministre Ariel Henry a dû démissionner sous la pression des bandits qui ont pris le contrôle de plus de 80 % de l’espace métropolitain.

Le président Jovenel Moïse a été assassiné le 7 juillet 2021 dans des conditions troublantes ; mis à part quelques complices de second rang, les principaux commanditaires du crime courent encore. Depuis, les bandes armées continuent de faire régner la terreur et plus de 350 000 personnes ont dû fuir de chez elles en quête d’un abri plus sûr.

Comment en est-on arrivé là ? Pour le comprendre, il convient d’analyser la triple faillite de l’État haïtien.

Faillite écologique

Le pays est soumis au double aléa sismique et hydroclimatique. Les cyclones de plus en plus fréquents, de plus en plus violents ; les séismes majeurs qui peuvent se produire à tout moment (comme ceux de janvier 2010 et août 2021) renforcent au sein de la population un sentiment de vulnérabilité systémique.

Lorsque les Européens ont débarqué au XVe siècle, la forêt recouvrait 90 % du territoire ; aujourd’hui, elle n’en occupe plus que 3 % selon les données les plus fiables.

Le milieu naturel a donc été soumis à rude épreuve. La déforestation a mis à nu des versants pentus dont la terre arable a été entraînée vers la mer par les pluies diluviennes. Les sols sont, par conséquent, pauvres, dégradés et les rendements agricoles en souffrent.

La situation du milieu marin est catastrophique. Le réchauffement global et la montée des eaux menacent les milieux littoraux fragiles. Les coraux blanchissent et la mangrove est exploitée pour faire du charbon. Les frayères des espèces marines benthiques sont menacées d’ensevelissement sous une chape d’alluvions récentes.

Faillite économique

La sécurité alimentaire de la population s’en trouve compromise. Avec le blocage des routes, l’UNICEF alerte sur le risque de famine, qui concerne plus de 2 millions de personnes, en majorité des femmes et des enfants. Le chômage touche également plus de 60 % de la population active.

Après l’indépendance, les anciens esclaves voulaient sortir de l’aliénation économique. Leur premier souci était d’assurer leur autosubsistance sans rapport de dépendance à l’égard de l’État. Mais le Code rural de Toussaint Louverture n’a pas répondu à leurs espoirs, se contentant de remplacer « esclaves » par « cultivateurs » dans les grands domaines.

Les Blancs restés dans la colonie après la proclamation de l’indépendance en janvier 1804 furent en grande partie massacrés sur ordre de Dessalines, le père de l’indépendance haïtienne, à l’exception des Polonais qui avaient pris parti pour l’armée des insurgés contre l’expédition coloniale chargée en 1802 de rétablir l’esclavage dans l’île.

Les grandes plantations perdirent peu à peu leur capacité de production par manque de personnel et du fait de la fuite de la main-d’œuvre vers les mornes. L’agriculture de plantation, qui avait fait de Saint-Domingue « la Perle des Antilles », laissa peu à peu la place à une économie paysanne de petits cultivateurs indépendants pratiquant une polyactivité très adaptée à leur souci d’autonomie personnelle. Ainsi se mit en place le lakou, cellule de base de l’habitat rural haïtien prenant racine sur les ruines de la plantation. Il s’ensuit une fragmentation extrême du tissu foncier au fur et à mesure de la croissance de la population : 400 000 habitants en 1804, plus de 11 millions en 2024.

Quelques chiffres rendent compte de la situation difficile de la population. Avec une moyenne de 441 hab/km2 et une grande concentration humaine dans les plaines, peu étendues, la densité est très forte sur certaines portions du territoire. La capitale, Port-au-Prince, regroupe 3,3 millions des 11 millions d’habitants du pays. 30 % des Haïtiens vivent au-dessous du seuil de pauvreté (fixé à 1,80 €/jour), ce qui explique la faiblesse de l’espérance de vie (63 ans, alors qu’elle est de 83 ans à Cuba).

Aujourd’hui la société haïtienne est une des plus inégalitaires des Amériques. 20 % de la population concentrent 64 % des richesses alors que 20 % des plus pauvres n’en possèdent que 1 %.

Faillite politique

Après avoir subi de 1957 à 1986 la dictature dynastique des Duvalier (François et Jean-Claude), protégés par les Tontons Macoutes, milice à la sinistre réputation, le pays est entré dans une spirale de violence qui mêle la répression des mouvements sociaux par des régimes brutaux et les exactions commises par des bandits.

L’abolition en 1995 de l’armée par le président Jean-Bertrand Aristide, comme remède à la récurrence des coups d’État militaires, se révèle un mauvais calcul. La perte du monopole de la violence légitime laisse l’État central à la merci des groupes armés recrutés illégalement par les hommes d’affaires et les politiciens pour défendre leurs propres intérêts. Les gangs armés ont pris le contrôle d’une grande partie du territoire et des principaux axes de circulation, avec comme principal enjeu le contrôle du trafic de drogue entre les pays andins et la Floride. L’argent de la drogue a gangréné la société haïtienne et corrompu les cadres dirigeants de l’État.

La transition vers la démocratie a été ratée du fait de la brutalisation de l’espace public et de son invasion par des groupes mafieux qui ont fait dérailler le train de la démocratie au début des années 2000. S’est ensuivie une intervention des Casques bleus de l’ONU, de 2004 à 2017 avec pour mission la stabilisation de la situation. À la fin de la mission, les gangs ont repris de l’activité et défient aujourd’hui ouvertement l’État en s’appropriant des secteurs entiers de la capitale. Devenus des territoires perdus de la Loi, ces quartiers sont barrés par des portails en fer et des murs érigés par les gangsters.

Les gangs occupent 80 % du territoire de la capitale haïtienne. Ils rançonnent la population et terrorisent les faubourgs. Plus de 5 000 morts ont été enregistrés depuis janvier 2023, et plus de 25 000 personnes ont été enlevées contre rançon.

L’émigration apparaît comme l’unique recours. En 2023, selon l’Organisation internationale des migrations, les principaux pays de destination sont les États-Unis (700 000), la République dominicaine (500 000), le Chili (230 000), le Canada (100 000) et la France (90 000). Avec un effectif d’environ 3 millions de personnes installées aux États-Unis, au Canada, en République dominicaine et en France (en comptant la deuxième et la troisième générations), la diaspora transfère chaque année l’équivalent de 3 milliards de dollars dans le pays d’origine : les Haïtiens de l’extérieur font vivre ceux de l’intérieur. Le revers de la médaille, c’est un tarissement des ressources humaines : 85 % des personnes titulaires d’un diplôme supérieur ou égal à un master sont à l’étranger.

Une seule loi, celle du plus fort

Le 2 octobre, le Conseil de Sécurité de l’ONU a mandaté le Kenya pour une mission financée non pas par l’ONU mais par des contributeurs volontaires, essentiellement les États-Unis. Le Kenya s’est dit prêt à envoyer 1 000 policiers pour lutter contre les gangs, ce qui semble bien peu vu l’ampleur de la tâche. Mais depuis la démission du premier ministre et la menace grandissante des bandits, le Kenya multiplie les déclarations dilatoires et repousse sine die la mise en exécution de son engagement d’intervention. C’est d’ailleurs au retour d’un voyage à Nairobi que le premier ministre a été destitué. Signe qu’il n’y a pas de véritable accord entre les protagonistes de la situation : plus de dix jours après l’annonce de cette destitution, la société civile et les partis politiques appelés à la table de négociation n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord sur un calendrier de sortie de crise.

Haïti reste un terrain miné où personne n’a envie de s’engager, parmi les partenaires occidentaux traditionnels. Un sentiment de solitude existentielle taraude les Haïtiens et leur enlève tout espoir de solution. C’est de ce qui arrive lorsqu’on a foulé aux pieds les principes de liberté, d’égalité et de solidarité pour ne laisser place qu’à la loi du plus fort. La fin d’un État ouvre la voie à la loi de la jungle, à la raison du plus fort. Et les plus forts pour le moment, ce sont les bandits et les groupes mafieux qui les approvisionnent en armes et en munitions.

Jean-Marie Théodat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Haïti, la fin d’un État – https://theconversation.com/ha-ti-la-fin-dun-etat-226365

MIL OSI – Global Reports

De quoi riait-on au Moyen Âge ?

Source: The Conversation – in French – By Raúl González González, Profesor de Historia Medieval, Universidad de León

Pontifical par Guillaume Durand (copié à Avignon vers 1357, marginalia ajoutés à la fin du siècle). París, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Ms. 143, fol. 145v.

Les gens riaient-ils au Moyen Âge ? Pas facile à imaginer. Après tout, c’est bien connu : cette période historique était sale, sombre, misogyne, platiste ; globalement, c’est une époque effrayante. Cette croyance nous réconforte, nous permet de nous sentir supérieurs aux peuples du passé ou à d’autres cultures qui vivraient « encore au Moyen Âge »…

Donc, à cette époque où régnaient la peur, l’angoisse et la répression, le rire aurait même été condamné par l’Église, qui tenait les masses sous son emprise grâce à son pouvoir omnipotent.

Et pourtant, rien de tout cela n’est vrai. Si bien que le Moyen Âge est marqué par des formes d’humour qui sont encore subversives aujourd’hui.

Les chansons d’Isabelle et de Ferdinand

Dans la bibliothèque du Palais royal de Madrid se trouve un merveilleux livre (un « codex ») : le Cancionero musical de palacio. Grâce à lui, nous pouvons connaître les paroles et la partition de centaines de chansons qui étaient jouées à la cour de la Reine Isabella I de Castille et du Roi Ferdinand II d’Aragon, les « Rois Catholiques » espagnols.

Plusieurs d’entre elles ont été composées par Juan del Enzina, né dans les terres de l’ancien royaume de León, qui deviendra prieur de la cathédrale de León. L’une des plus curieuses, intitulée « Si abrá en este baldrés », raconte comment trois jeunes femmes semblent manquer de cet objet mystérieux. « Est-ce qu’il y aura dans ce “baldrés” des manches pour nous trois ? », dit la chanson.

L’édition actuelle du dictionnaire de l’Académie royale d’Espagne répertorie encore le mot baldrés ou baldés, qu’elle définit comme une « peau de mouton tannée, douce et souple, utilisée surtout pour les gants ». Les versions antérieures ajoutaient, pudiquement, « et d’autres choses ».

Page du Cancionero Musical de Palacio dans laquelle est reproduit « Si abrá en este baldrés », avec des biffures ultérieures qui éliminent du texte toutes les occurrences des mots « pija » et « carajo », des termes familiers pour désigner le pénis.
Patrimonio Nacional, Real Biblioteca de Palacio

Le XVe siècle étant un peu moins pudibond, nous pouvons apprendre la véritable nature de l’objet en question grâce à un texte satirique anonyme connu sous le nom de Coplas del provincial. Il y demande sans détour « ce que vaut le valdrés/à défaut du corps d’un homme ».

On peut penser qu’un demi-millénaire plus tard, on ne chante plus de telles choses dans les cours royales. Ou, du moins, elles ne sont pas écrites. Au fil des siècles, nos oreilles semblent être devenues beaucoup plus sensibles au scandale que celles des monarques catholiques.

Le rire du clergé

À Paris, en 1414, une épidémie de coqueluche donna naissance à une chanson humoristique très appréciée des enfants qui se réunissaient en groupe pour faire les courses de l’après-midi. Son refrain était le suivant : « Votre con tousse, commère, Votre con tousse, tousse ».

Fragment de « Comment Henry Curtmantle, fils de l’impératrice Mathilde, fut couronné roi d’Angleterre », par David Aubert, « Histoire abrégée des Empereurs » : Paris, BnF, Arsenal ms.
gallica.bnf. fr/Bibliothèque nationale de France

Il y a peu de choses plus humaines que ce recours au rire comme mécanisme libérateur face à la peur produite par une épidémie. Il est donc surprenant que, alors qu’un ecclésiastique de l’époque n’a pas hésité à reprendre ces mots mot pour mot dans sa chronique (connue sous le nom de Journal d’un bourgeois de Paris), l’historien qui en a préparé une édition pour le grand public en 1990 s’est senti obligé de censurer le gros mot.

Un millénaire plus tôt, le 13 août 1099, l’élection papale avait lieu dans la vénérable basilique romaine Saint-Clément du Latran. La cérémonie se déroulait devant les fresques, alors récentes, qui recouvraient les murs de l’église et racontaient les miracles du saint titulaire.

Dans l’une d’entre elles, située tout près de l’autel, le rire est à l’honneur. À la manière d’une bande dessinée moderne avec ses bulles, on peut voir différents personnages et les phrases qu’ils prononcent. L’effet comique vient du contraste entre les registres de langage : saint Clément parle solennellement en latin, et les païens qui tentent en vain de s’emparer de lui profèrent des insanités en langue vulgaire (leurs paroles sont d’ailleurs l’un des plus anciens témoignages écrits des langues italiques). Le chef des païens donne un ordre grossièrement réaliste, peut-être le plus hilarant des textes fondateurs d’une langue : « Fili dele pute traite » (« Fils de putains, traînez-les ! »).

La plaisanterie ne semble pas avoir déplu aux prélats réunis, puisqu’ils ont élu pape précisément le cardinal à la tête de la basilique, Raniero de Bleda, qui allait prendre le nom pontifical de Pascal II. Contrairement à nous, les gens du XIe siècle trouvaient de la place pour l’humour, même dans les affaires sacrées.

Inscription de saint Clément, détail d’une fresque de la fin du XIᵉ siècle dans la basilique souterraine de San Clemente à Rome.
Affreschi della Basilica di San Clemente

Ce n’est pas la faute du Moyen Âge

En effet, la comédie était un élément essentiel de la culture médiévale dans toutes ses manifestations : art, littérature, musique, rituels, coutumes

Bien sûr, le Moyen Âge, comme toute autre époque, a eu ses fanatiques, ses inquisiteurs, ses eunuques, ses prédicateurs au visage râblé et au cœur froid, ses ennemis du corps, du plaisir et de la joie. Mais tout au long de ces siècles, ils n’ont jamais cessé d’être une minorité, même au sein du clergé. En général, les intellectuels et le clergé du Moyen Âge s’en tenaient à l’opinion d’Aristote, pour qui le rire était un attribut humain essentiel. C’est pourquoi, lorsqu’en l’an 1000, le moine Notker rédigea un livre de définitions à l’abbaye de Saint-Gall (dans l’actuelle Suisse), il ne trouva pas de meilleure définition de l’être humain que celle d’un « animal rationnel, mortel, capable de rire ».

Ce n’est pas l’époque médiévale mais les époques ultérieures qui ont éradiqué le carnaval, les charivaris, la Fête des fous, le rire pascal ou les farces de la veille de la Toussaint. La disparition de ces traditions humoristiques, comme la domestication des corps, est un phénomène beaucoup plus récent qu’on ne veut le croire.

Raúl González González no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.

ref. De quoi riait-on au Moyen Âge ? – https://theconversation.com/de-quoi-riait-on-au-moyen-age-226075

MIL OSI – Global Reports

Mieux comprendre les maladies cardio-neurovasculaires avec l’hémodynamique

Source: The Conversation – France (in French) – By Waleed Mouhali, Enseignant-chercheur en Physique, ECE Paris

Première cause de décès dans le monde, les maladies cardio-neurovasculaires représentent l’ensemble des troubles affectant le cœur et les vaisseaux sanguins. En France, elles sont la deuxième cause de décès après les cancers, en étant responsables de plus de 140 000 morts chaque année.

Elles causent un nombre important de maladies et de décès précoces, d’hospitalisation, et de handicap acquis. Jusqu’à 50 000 personnes font un arrêt cardiaque soudain chaque année, dont environ 5 % survivent. En 2021, 5,3 millions de personnes étaient traitées pour une maladie cardio-neurovasculaire, dont plus de 443 000 pour maladie aiguë. Parmi ces maladies, la cardiopathie coronarienne désigne un dysfonctionnement du cœur provoqué par le rétrécissement ou l’obturation des artères qui le nourrissent (les artères coronaires, qui dessinent une couronne autour du muscle cardiaque).

La physique peut s’avérer forte utile pour comprendre les aspects physiologiques et cliniques (en complément de l’angiologie). L’hémodynamique (ou « dynamique du sang »), du grec haima, « le sang » et dunamis, dunamikos, « la force », est la science des propriétés physiques de la circulation sanguine en mouvement dans le système cardio-vasculaire.

Harvey, Bernoulli et Poiseuille.
Wikimedia, CC BY

Les pionniers de cette discipline sont d’abord médecins avant d’être physiciens. Daniel Bernoulli, médecin de formation, a écrit son Traité Hydrodynamica après ses réflexions sur le mouvement du sang dans les veines et sur la pression artérielle. La double formation en médecine et en physique de Poiseuille lui fait écrire Le Mouvement des liquides dans les tubes de petits diamètres.

Dans l’ouvrage De Motu Cordis, Harvey fait la première description complète du système circulatoire. Il décrit notamment le sens de circulation et le rôle exact des valvules veineuses. On sait aujourd’hui que le système circulatoire est constitué de pompes de différentes natures (cardiaque, musculaire veineuse, abdomino-thoracique) et de conduits en forme de tubes (les vaisseaux sanguins). Les pompes font circuler le sang depuis les artères jusqu’à la microcirculation créant un système de circulation aller et retour à sens unique.

Au premier abord, la discipline sous-jacente de l’hémodynamique est la mécanique des fluides et plus précisément la rhéologie : la science qui étudie la déformation des écoulements sous l’effet d’une contrainte appliquée.

Le sang est une suspension liquide de « particules » (globules rouges, blancs, plasmocytes…) dans le plasma, c’est-à-dire un mélange hétérogène de particules solides dans un liquide. L’existence d’une phase « solide » et d’une phase « liquide » rend complexe la définition d’un modèle physique réaliste pour le décrire. Le sang est un fluide non newtonien c’est-à-dire que sa viscosité n’est pas indépendante de la contrainte. Dans les fluides non newtoniens, la viscosité peut changer lorsqu’elle est soumise à une force pour devenir plus liquide ou plus solide.

Mieux comprendre l’hypertension ou les anévrismes

L’hémodynamique permet une compréhension et caractérisation de maladies comme l’hypertension, l’athérosclérose, les anévrismes cérébraux et les anévrismes de l’aorte.

La modélisation hémodynamique permet la conception de dispositifs médicaux implantables utilisés dans le traitement de ces maladies (organes artificiels, tubes, et cathéters, implants vasculaires)

On peut réaliser des modèles numériques de biomécanique de la circulation sanguine. Citons par exemple des modèles physique et mathématique de valve aortique.

Des chercheurs de l’EPFL ont développé un modèle de « cœur » sur ordinateur susceptible un jour d’aider les médecins à mieux diagnostiquer ou prévenir les maladies cardiaques.

La simulation numérique pour les écoulements sanguins/Université de Montpellier.

En réalité, l’utilisation des paramètres hémodynamique est quotidienne en médecine : on surveille la pression artérielle, la fréquence cardiaque, ou, plus spécifiquement notamment en soins intensifs le débit cardiaque, les pressions de remplissage du cœur gauche. Concrètement, lorsqu’on mesure sa tension artérielle, on réalise en fait une expérience d’hémodynamique. Parmi les paramètres essentiels dont dépend l’hémodynamique, on peut mentionner l’énergie cardiaque, le volume sanguin, la respiration, le diamètre des vaisseaux et leur résistance, et la viscosité sanguine.

Le cœur, en jouant le rôle de pompe circulatoire de l’organisme doit assurer un débit cardiaque minimal pour le bon fonctionnement des organes. Il s’adapte également à tout effort physique ou situation de maladie. La fonction cardiaque est en harmonie avec les fonctions vasculaires, qui, plus que de simples tuyaux, régulent la pression sanguine via une réduction ou une augmentation de leur diamètre, phénomènes appelés vasoconstriction et vasorelaxation.

L’évaluation des paramètres hémodynamique est nécessaire au cours de l’évaluation d’un patient. C’est le quotidien du médecin vasculaire, qui doit évaluer la bonne perfusion des organes, la recherche de sténoses (rétrécissement du calibre artériel) ou d’occlusions d’artères. Un des principaux examens d’évaluation est l’échographie Doppler vasculaire. Cet examen permet de visualiser les artères en échographie et utilise l’écho Doppler pour évaluer les vitesses d’écoulement sanguin. Ces données combinées sont essentielles pour comprendre l’hémodynamique artérielle locale. Par exemple, une sténose va se caractériser par une accélération locale des vitesses circulatoires et un ralentissement en aval de la sténose.

Précisément, les contraintes de cisaillement pariétal dans le contexte des vaisseaux sanguins, tels que les artères, représentent les forces de frottement exercées par le sang sur la paroi interne des vaisseaux. Cette contrainte est générée par le flux sanguin qui circule à travers les vaisseaux. Elle est déterminée par la viscosité du sang et la vitesse du flux sanguin. Une des thématiques de recherche actuelle en imagerie menée dans le service de médecine vasculaire à l’hôpital européen Georges Pompidou (APHP, Paris) est de développer une mesure fiable de ces contraintes. Ces mesures pourraient nous aider à mieux caractériser le profil de risque des plaques d’athérosclérose car on sait que les contraintes de flux exercées sur ces plaques jouent un rôle dans le processus de rupture de plaque, à l’origine de la plupart des infarctus du myocarde et des accidents vasculaires cérébraux.

En conclusion, l’étude de l’hémodynamique est ancienne et toujours en amélioration via de nouvelles techniques d’exploration. Les avancées technologiques nous permettent un regard toujours renouvelé dans la compréhension des mécanismes physiologiques et pathologiques de la circulation sanguine.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Mieux comprendre les maladies cardio-neurovasculaires avec l’hémodynamique – https://theconversation.com/mieux-comprendre-les-maladies-cardio-neurovasculaires-avec-lhemodynamique-221152

MIL OSI – Global Reports

Devoir de réserve des agents de l’État : que dirait Emmanuel Kant ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Juliette Speranza, Doctorante, chargée de cours en Philosophie, Université de Bourgogne – UBFC

Vendredi 15 mars, une professeure de français, un professeur de sciences économiques et sociales, un professeur de physique-chimie et un professeur de mathématiques du lycée Blaise Cendrars à Sevran (Seine-Saint-Denis) étaient reçus par leur hiérarchie dans le cadre d’entretiens individuels, manifestement liés à leur participation à une vidéo publiée sur TikTok dans laquelle élèves et enseignants dénonçaient la vétusté de leur établissement ainsi que les problèmes de remplacement des personnels absents.

À ce jour aucun détail n’a été communiqué par l’Académie de Créteil, mais les syndicats et collègues venus en soutien devant l’établissement s’inquiètent des conséquences de cette convocation : une enseignante serait sortie en pleurs de son entretien, selon France bleu Paris. Quelle faute ces enseignants ont-ils commise ? Il semblerait qu’ils aient, aux yeux de leur hiérarchie, manqué à leur « devoir de réserve ».

La convocation de ces quatre enseignants est l’occasion de relancer le débat sur la liberté d’expression et d’opinion des fonctionnaires, et sur la légitimité de dissuader les personnels de s’en saisir. Est-il juste et souhaitable que les fonctionnaires ne puissent pas dénoncer des dysfonctionnements et des iniquités institutionnels ni pendant ni en dehors de leur temps de travail ?

Selon le philosophe emblématique de la morale et des Lumières, Emmanuel Kant, la réponse est claire : si le citoyen doit se garder d’exprimer son point de vue pendant l’exercice de sa mission, il est nécessaire et juste qu’il puisse exprimer ses jugements à ses concitoyens en dehors de son temps de travail.

Des élèves du 93 dénoncent la vétusté de leur lycée, les profs convoqués (Le HuffPost).

Un devoir qui s’applique pendant et en dehors du temps de travail

S’il est inscrit dans les textes officiels que le devoir de réserve ne s’oppose pas à la liberté d’expression et à la liberté d’opinion, il n’en constitue pas moins une limitation de cette liberté (avec laquelle il entre en contradiction), qui « s’impose à tout agent public », selon le Conseil d’État.

Formulé pour la première fois en 1935, le devoir de réserve se définit comme « l’obligation faite à tout agent public de faire preuve de réserve et de retenue dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles. » C’est une obligation d’origine jurisprudentielle, ce qui signifie qu’elle n’est pas inscrite dans la loi, mais se rapporte à une décision juridictionnelle constituant une source de droit.

La « réserve » et la « retenue » restent à l’appréciation de la hiérarchie de l’agent puis du juge administratif selon la fonction (par exemple, les militaires sont soumis à des obligations supplémentaires) et le contexte (comme l’aspect public des propos ou la place de l’agent dans la hiérarchie : plus il est haut placé, plus l’obligation de réserve est sévère). C’est cette appréciation qui limite la libre communication des pensées et des opinions, prévue par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et reprise dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

Cette restriction de la liberté d’expression s’applique « pendant », mais aussi « en dehors » du temps de travail : c’est la raison pour laquelle deux autres enseignants ont été suspendus en mai 2023 pour non-respect du devoir de réserve pour leurs propos sur Twitter, l’un pour avoir formulé des « critiques contre la politique africaine de la France », et l’autre pour avoir affirmé que le pass vaccinal était une mesure discriminatoire. Et c’est là que le bât blesse : est-il juste et souhaitable de restreindre la liberté d’expression des agents de la fonction publique en tant que citoyens ?

« L’usage public de la raison doit être libre »

Dans son opus Qu’est-ce que les Lumières ?, le philosophe Emmanuel Kant distingue l’usage public de la raison de son usage privé. Pour bien saisir la distinction opérée par Kant, il faut mettre de côté notre définition habituelle du public et du privé.

Portrait du philosophe Emmanuel Kant (1724-1804).
Wikicommons, CC BY

Dans ce texte, le terme « privé » ne renvoie pas à la sphère familiale, mais au contexte professionnel. L’usage privé de la raison renvoie à l’usage que le citoyen peut faire de sa raison dans le cadre des fonctions qui lui sont confiées. Il est alors docile et passif, il doit respecter les instructions et les méthodes formalisées par sa hiérarchie.

L’usage public de la raison, à l’inverse, est l’usage de sa raison « en tant que savant devant le public entier qu’est le monde des lecteurs » (un monde de « lecteurs » que l’on peut étendre aux médias contemporains et aux réseaux sociaux).

Cette distinction usage privé/usage public garantit selon Kant l’équilibre social (car chacun s’adonne à sa tâche) et l’autonomie du citoyen (qui peut prétendre à la liberté en pensant par lui-même).

« Ne raisonnez pas ! » : c’est l’injonction qui limite la liberté dans tout le corps social, selon Kant. Une injonction qui n’est légitime que dans certains cas, selon lui. En effet, pour maintenir une forme d’« unanimité artificielle », « un certain mécanisme est nécessaire, qui impose à quelques-uns de ses membres un comportement purement passif » : la contestation ou l’opposition permanente mettrait en péril ce fragile équilibre que constitue une société.

Afin de préserver le corps social, il ne faut pas raisonner, « il faut au contraire obéir » : se contenter de faire un « usage privé » de sa raison. Pour Kant, cette injonction se justifie donc (dans une certaine limite) dans le contexte professionnel.

Cependant, est-il juste de prolonger cette prescription à toute la vie du citoyen ? Si le prêtre n’est pas libre comme prêtre (membre d’une Église soumise à une hiérarchie et une doctrine officielle), il doit, selon Kant, jouir d’une liberté illimitée comme « savant » (comme citoyen rationnel) d’exposer ses jugements à l’examen du monde.

Le droit de mettre en doute une constitution religieuse, des lois, le fonctionnement d’une institution est l’unique voie pour que le peuple sorte de l’« état de minorité » (cet état est selon Kant, l’incapacité à se servir de son propre entendement sans la direction d’un autre). L’usage public de la raison doit donc toujours être libre. En effet, pour que les institutions évoluent conformément à l’intérêt général, le regard critique de ceux qui les représentent et les éprouvent au quotidien n’est-il pas nécessaire ? Sapere Aude (« ose te servir de ton propre entendement », formule empruntée à Horace), nous ordonne Kant. Oui, mais quand,et jusqu’où ?

Plus de liberté, plus de limites

En 2018, une enseignante dijonnaise avait été rappelée à l’ordre par le rectorat de l’académie de Dijon pour avoir publié sur le site dijoncter.fr une tribune ironique sur le président Emmanuel Macron. Sa hiérarchie lui avait rappelé son devoir de réserve en ces termes : « un fonctionnaire ne doit pas critiquer sa hiérarchie et l’État employeur ». Cette convocation s’avéra d’autant plus inquiétante que l’enseignante était très impliquée dans la lutte contre la réforme du Bac et Parcours Sup ainsi que dans la défense d’élèves en situation irrégulière.

Selon Emmanuel Kant, une telle négation de la liberté d’expression est préjudiciable à l’émancipation du peuple (parce qu’elle empêche l’esprit critique d’œuvrer à la diffusion des « Lumières »), mais aussi à l’équilibre social.

Paradoxalement, accorder aux citoyens un « degré supérieur de liberté civile » est selon Kant le meilleur moyen de leur imposer des « limites infranchissables » : les hommes libres s’arrachent en effet d’eux-mêmes à la « grossiereté ». La pensée libre permet à l’homme de se comporter avec humanité. Aussi le peuple comme les gouvernants ont tout intérêt à promouvoir la pensée libre et sa libre expression, en traitant l’homme « qui est dès lors plus qu’une machine » conformément à sa dignité absolue, et ce qu’il soit ou non agent public. À cet égard, nous sommes encore loin des Lumières défendues par Kant.

Juliette Speranza ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Devoir de réserve des agents de l’État : que dirait Emmanuel Kant ? – https://theconversation.com/devoir-de-reserve-des-agents-de-letat-que-dirait-emmanuel-kant-225594

MIL OSI – Global Reports

Préserver l’avenir de nos forêts : ce que peut apporter la recherche

Source: The Conversation – France (in French) – By Arnaud Sergent, Ingénieur de recherche en sciences politiques, Inrae

Pour penser l’avenir des forêts, il faut intégrer leurs dimensions environnementales, mais également économiques et sociales. Nadia Ivanova / Unsplash, CC BY-NC-SA

La question de l’avenir de nos forêts taraude la société dans son ensemble, des forestiers aux industriels de la transformation du bois en passant par les citoyens et usagers des forêts.

Avec l’accélération du changement climatique, qui se traduit en France par une trajectoire de réchauffement à +4 °C en 2100, les superpouvoirs des forêts – sources de matières premières, puits de carbone, fonctions de régulation et de protection, réservoir de biodiversité, espace de bien-être – sont de plus en plus mis à mal.

À titre d’exemple, la séquestration du CO2 par les arbres – qui contribue à réduire les effets du changement climatique via la photosynthèse – a fortement diminué.




À lire aussi :
Un autre regard sur l’évolution contemporaine de la forêt française


Dans ce contexte, l’État lance un programme de recherche sur la résilience des forêts, qui vise à accroître les connaissances pour accompagner la conception et l’expérimentation – sur la base de travaux scientifiques – de trajectoires d’adaptation flexibles afin d’améliorer la résilience des socio-écosystèmes forestiers.

Cette programmation scientifique interroge le rôle de la recherche face aux défis de l’accélération des changements globaux. En effet, les forêts sont des socio-écosystèmes (c’est-à-dire, des systèmes complexes impliquant des composantes biophysiques et écologiques, mais également sociétales, et notamment politiques et économiques, ndlr). Sous l’effet de facteurs d’origine climatique et anthropique, mais aussi des évolutions des attentes et besoins de la société, ces socio-écosystèmes sont mis sous tension.

« Agir dans un monde incertain » implique de redéfinir la place des connaissances et des activités scientifiques. De quoi accompagner de nouveaux modes de gouvernance des forêts, l’évolution de la trajectoire climatique et les processus de décision en matière de gestion forestière.

« Socio-écosystèmes »

La forêt a longtemps été considérée comme un objet technico-administratif : son sort devait échapper aux vicissitudes d’une société dominée par des aspirations de court terme. L’expertise technique détenue par les professionnels et organismes de gestion forestière avait le monopole « du dire et du faire » et les organes administratifs maintenaient un certain cloisonnement du débat forestier.

À l’évidence, ce cadrage ne répond plus aux attentes ni aux aspirations d’une société qui souhaite se réapproprier les enjeux forestiers.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Dans le domaine scientifique, l’objet forestier est encore souvent appréhendé de façon mono disciplinaire, ce qui donne une vision partielle et restreinte des enjeux associés aux forêts. Par exemple, la vulnérabilité des forêts est en général étudiée sans prendre en compte les interactions entre aléas, et sans couplage avec les enjeux sociaux et économiques. De plus en plus de travaux cherchent néanmoins à développer des approches plus intégrées en articulant les regards disciplinaires.

Le concept de « socio-écosystème » est ainsi utilisé pour étudier les multiples interactions et interdépendances, à différentes échelles spatio-temporelles, qui déterminent l’avenir du secteur forêt-bois. Celles-ci s’opèrent entre, d’une part les dynamiques écologiques des arbres et des peuplements forestiers, de l’autre les représentations, comportements, pratiques, organisations et institutions des acteurs intéressés et concernés par les enjeux forestiers.

Voilà donc la première mission de la recherche : aider à penser le monde dans sa complexité, et dans le cas présent, aider à appréhender la forêt comme un « objet » ancré dans la société.

  • D’un côté, la forêt ne peut être réduite à des considérations sociotechniques et à des intérêts particuliers ;

  • de l’autre, il n’est pas possible de penser son avenir en se limitant à ses dynamiques naturelles et à sa contribution au bien commun.

Par conséquent, s’appuyer sur des approches scientifiques diverses permet d’élargir l’espace du débat public et de décloisonner les enjeux forestiers.

Conservation, atténuation… et adaptation

Depuis les débuts de l’ère industrielle, les forêts font l’objet de préoccupations environnementales en raison des conséquences, directes ou indirectes, des activités humaines.

Le paradigme conservationniste s’est alors développé, de manière progressive, autour des logiques de protection, de restauration et de limitation des impacts des activités humaines. À partir des années 1990, le paradigme de l’atténuation s’est aussi imposé dans beaucoup de régions du monde, et notamment en Europe : les forêts doivent soutenir les actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre en stockant du carbone et en offrant des ressources alimentant une économie décarbonée.

La forêt de Bialowieza, en Pologne, l’une des dernières forêts primaires d’Europe.
Wikimedia, CC BY-NC-SA

Depuis quelques années, ces orientations paraissent toutefois incompatibles avec la dynamique d’évolution des forêts. La stratégie conservationniste ne peut pas être la réponse unique aux transformations profondes des socio-écosystèmes forestiers qui se profilent.

Et l’heure n’est plus à considérer les forêts comme des variables d’ajustement des stratégies d’atténuation, mais à envisager comme problème central les conditions de leur adaptation au changement climatique et du développement d’une bioéconomie forestière qui accompagne cet effort.

La forêt de Bialowieza, en Pologne, l’une des dernières forêts primaires d’Europe.
Wikimedia, CC BY-NC-SA

Un enjeu à mettre à l’agenda

Dans la perspective d’opérer cette transition vers le paradigme de l’adaptation, il est attendu de la recherche qu’elle contribue à objectiver les enjeux et accompagne le développement d’alternatives.

La science joue un rôle décisif dans la mise à l’agenda du défi de l’adaptation et de son urgence. En complément des constats empiriques (incendies, dépérissements, tempêtes, etc.), les travaux académiques sur la dynamique d’évolution des socio-écosystèmes offrent une capacité de suivi et une vision dynamique, dans le temps et dans l’espace, du changement et de ses déterminants. Par exemple, le croisement des outils de monitoring (suivis terrain, télédétection) permet de suivre l’évolution de l’état de santé des forêts.

En situation de crise, les tensions entre les différents intérêts socio-économiques et écologiques sont exacerbées et un travail d’objectivation par la démarche scientifique peut contribuer à dépasser ces tensions pour partager une vision commune des problèmes.

Passer des solutions tactiques aux solutions stratégiques

L’adaptation doit aussi reposer sur une capacité à définir des trajectoires. La recherche est alors souvent mise à contribution pour proposer des solutions de court terme et des innovations « clés en main ».

Dans ce contexte d’incertitude, il faut changer la logique d’articulation entre connaissance et action. La recherche a dorénavant vocation à s’inscrire dans une dynamique d’expérimentation et de transformation des pratiques qui garantisse une capacité de résilience à long terme des socio-écosystèmes.

Sans abandonner les adaptations ponctuelles « tactiques » en réaction aux bouleversements, il faut glisser vers une adaptation « stratégique » qui assume une trajectoire de transformation de l’ensemble des composantes des socio-écosystèmes.

Nous devons partir du principe que la connaissance ne précède pas l’action, mais que l’une et l’autre s’alimentent grâce à une proximité plus forte entre les acteurs de la recherche et les acteurs de la forêt.

Des processus de décision dépassés

Comme évoqué, l’expertise technique de la « science forestière » a dirigé depuis le XIXe siècle les décisions en matière de gestion des parcelles et d’aménagement des propriétés forestières. Les fondements de ce processus de décision sont remis en question pour plusieurs raisons.

Il n’existe tout d’abord plus de corps socio-professionnel unifié porteur d’une expertise commune, mais une grande diversité de prescripteurs techniques qui développent leurs propres référentiels et orientations sylvicoles.

Les enjeux forestiers actuels impliquent en outre des processus de décision qui ne peuvent se limiter à un raisonnement à l’échelle de la parcelle ou la propriété mais doivent intégrer les échelles « fonctionnelles » (massifs forestiers, paysages, territoires, bassins d’approvisionnement, etc.).




À lire aussi :
Pourquoi la forêt française a besoin d’un traitement de fond


Enfin, l’accélération brutale du changement climatique rend obsolète une part importante des connaissances empiriques existantes.

Dans ce contexte incertain qui expose le décideur à une prise de risque face à un futur inconnu, il est nécessaire de développer des processus de décision davantage fondés sur la connaissance.

Fonder les décisions sur la connaissance

Dans ce contexte, les travaux scientifiques peuvent d’une part servir de support à l’élaboration d’outils d’aide à la décision pour offrir à la diversité des prescripteurs techniques un socle commun de connaissances pour concevoir leurs référentiels de gestion.

La science a d’autre part vocation à fournir des éléments de caractérisation des différentes variables et de leurs interactions afin qu’elles soient prises en compte dans des modèles explicatifs, puis des outils d’aide à la décision multi-échelles.

La science doit finalement permettre d’intégrer la culture de l’incertitude et des risques multiples dans la décision, en encourageant le développement de connaissances sur la base de l’expérimentation et de la modélisation, en élargissant par la prospective le champ des possibles en matière de gestion et valorisation des forêts.

Un plan d’adaptation stratégique est donc une urgence absolue pour accélérer les transitions des forêts, favoriser leur résilience et assurer le maintien de leurs fonctions écologiques tout en accompagnant l’industrie face à un afflux de bois dépérissant aux propriétés potentiellement dégradées. Agir sans attendre, s’appuyer sur la science et la nature, suivre les évolutions en continu et construire des solutions collectives, constituent les quatre principes d’un plan d’action ambitieux pour la forêt et le bois.

Arnaud Sergent est membre du bureau du pôle de compétitivité Xylofutur. Il a reçu des financements de la région Nouvelle Aquitaine, de l’ANR et de l’Union Européenne.

Christophe Plomion a reçu des financements de la Région Nouvelle Aquitaine, de l’ANR et de l’Union Européenne.

ref. Préserver l’avenir de nos forêts : ce que peut apporter la recherche – https://theconversation.com/preserver-lavenir-de-nos-forets-ce-que-peut-apporter-la-recherche-224565

MIL OSI – Global Reports

Des SMS aux réseaux sociaux, comment le numérique transforme le dialogue entre parents et enfants

Source: The Conversation – France (in French) – By Marie Danet, Maîtresse de conférence en psychologie – HDR, Université de Lille

Les outils numériques font aujourd’hui partie intégrante du quotidien et amènent les enfants à avoir de nouvelles expériences et à se développer dans de nouveaux environnements.

La place de ces technologies dans les interactions familiales peut varier en fonction d’un certain nombre d’éléments, tels que la qualité des liens, la dynamique familiale, l’environnement de vie de la famille, le stress des parents, l’âge de l’enfant et de l’adolescent…




À lire aussi :
« L’envers des mots » : Technoférence


Ces outils peuvent créer des obstacles à la communication, ce que les recherches étudient notamment à travers le concept de technoférence, au cours de la petite enfance et de l’enfance notamment. Mais ils peuvent aussi constituer de nouveaux canaux d’échanges, soutenant les échanges parent-enfant.

Cela peut se faire par exemple à travers le co-visionnage de contenus : regarder un dessin animé avec son enfant, faire une activité interactive sur tablette, lire des livres numériques… Les parents commentent alors ce que l’enfant voit et peuvent stimuler son attention, sa curiosité et son vocabulaire (même si pour ce dernier point, les résultats de la recherche ne vont pas tous dans le même sens…).

L’âge du premier smartphone

La place des écrans dans la famille évolue à mesure que l’enfant grandit. 9 ans et 9 mois, c’est l’âge moyen d’acquisition du premier téléphone portable en France. Et on peut dire que cette acquisition amène un tournant dans la vie et la communication au sein de la famille.

C’est souvent lorsque les jeunes commencent à avoir plus d’autonomie que les parents envisagent de leur offrir un smartphone. En effet, les parents souhaitent assurer la sécurité de leur enfant, le téléphone leur permettant de rester en contact avec leur enfant en cas d’urgence ou de besoin. Mais l’outil favorise aussi le développement de leur autonomisation et son acquisition est une véritable étape développementale.




À lire aussi :
Les écrans, atouts ou freins du dialogue familial ?


Néanmoins, la communication parent-enfant est aussi une motivation à cet achat, au-delà de l’aspect uniquement lié à la sécurité. La possibilité de pouvoir joindre ses parents ou d’être joints par eux à tout instant permet aux jeunes adolescents d’agrandir leur champ d’exploration, d’aller à la découverte du monde.

Les outils numériques comme soutiens à la communication

Comme évoqué précédemment, la communication via les outils numériques s’est accrue à mesure que les préadolescents en étaient équipés. On pourrait même dire qu’elle s’est banalisée. Son atout réside dans l’instantanéité, pour transmettre rapidement une information ou faire une demande à l’autre, partager un moment vécu ou des états émotionnels, gérer une situation conflictuelle, favorisant ainsi un sentiment de proximité.

Échanger par messagerie ou par les réseaux sociaux peut aussi être parfois un moyen de se dire les choses plus facilement. Il pourrait ainsi être plus aisé pour certains adolescents de faire passer des messages à leur parent de façon plus ou moins « déguisée », par l’intermédiaire du partage de posts sur les réseaux sociaux, ou d’envoi d’émojis pour traduire leurs émotions.

Le partage de publications en ligne peut aussi être une façon pour les parents d’aborder des sujets perçus comme sensibles ou tabous en fonction des familles, par exemple le rapport au corps, la découverte de la sexualité. La communication parent-adolescent peut ainsi être soutenue par les outils numériques, et cela de plus en plus à mesure que l’adolescent grandit et s’éloigne physiquement de ses parents.

Des échanges en face à face incontournables

Sans s’y limiter, les échanges entre les parents et les enfants passent de plus en plus par une messagerie, à l’instar de ce qu’on observe dans tout type de relations. Pour autant, bien que pratique lorsqu’on ne se trouve pas en présence de l’autre, ce mode de communication pourrait aller en l’encontre de la qualité des interactions.




À lire aussi :
Géolocalisation des enfants : une nouvelle forme de surveillance parentale


Des échanges passant essentiellement par les outils numériques peuvent donner au parent le sentiment d’être proche de son enfant, sans que la relation soit vraiment sécure, avec peu de possibilités d’échanges en face-à-face. En effet, un niveau important d’interactions via les outils numériques peut correspondre à une relation d’attachement où les émotions sont difficiles à partager et exprimer directement.

Par ailleurs, les interactions par messageries instantanées ou SMS sont généralement brèves. Elles ne sont donc pas comparables avec un échange en face-à-face où parent comme enfant peuvent s’engager dans des conversations plus approfondies, étayées par les comportements non verbaux de l’autre qui peuvent renseigner sur ses états émotionnels.

Des codes de conversation à acquérir

Outre la qualité de la relation parent-enfant, le type de communication présent dans la famille pourrait jouer sur l’usage plus ou moins important des outils numériques. Par exemple, dans les familles « tournées vers les échanges, les conversations », les adolescents y auraient plus facilement recours pour échanger avec leurs parents que ceux issus d’une famille peu orientée vers les discussions.

Les adolescents communiqueraient aussi via téléphone ou messagerie davantage avec leur mère qu’avec leur père, dans les familles bi- comme monoparentales, reproduisant ce que l’on peut observer dans les interactions « en personne ».

Pour ce qui est du motif de communication, il semblerait que les adolescents, lorsqu’ils ont le choix, auraient une préférence pour les interactions par messages pour des questions logistiques, d’organisation, de planification. En revanche, s’ils souhaitent exprimer des émotions ou rechercher du soutien, ils se tournent plutôt vers des appels téléphoniques. Les échanges verbaux permettraient en effet un meilleur partage des émotions et un plus grand sentiment de proximité.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Même si les services de messagerie occupent une part grandissante dans les échanges parent-enfant, les échanges en face-à-face (et les appels téléphoniques pour les plus jeunes mais pas les adolescents) restent malgré tout prépondérants.

Les échanges textuels sont importants en ce sens qu’ils participent au processus d’autonomisation des jeunes ainsi qu’à leur apprentissage des échanges dans les environnements virtuels. Ils peuvent ainsi acquérir certains codes conversationnels qui peuvent être différents des codes en vigueur dans les échanges « en personne », par exemple, prendre conscience que la personne qu’on essaie de contacter par téléphone ou message peut ne pas être disponible en même temps, apprendre à respecter les moments où on peut contacter une personne ou pas en fonction du type de communication…

Marie Danet a reçu des financements de la fondation I-SITE ULNE.

ref. Des SMS aux réseaux sociaux, comment le numérique transforme le dialogue entre parents et enfants – https://theconversation.com/des-sms-aux-reseaux-sociaux-comment-le-numerique-transforme-le-dialogue-entre-parents-et-enfants-224766

MIL OSI – Global Reports

« Penser l’alternative. Réponses à 15 questions qui fâchent », par cinq économistes atterrés

Source: The Conversation – in French – By David Cayla, Enseignant-chercheur en économie, Université d’Angers

Cinq économistes, David Cayla, Philippe Légé, Christophe Ramaux, Jacques Rigaudiat et Henri Sterdyniak, membres du collectif des Économistes atterrés, ont mis leurs compétences en commun pour répondre à quinze « questions qui fâchent » dans un ouvrage récemment publié aux éditions Fayard. Cela constitue la trame d’un programme alternatif. Nous vous en proposons un extrait, qui présente les intentions de l’ouvrage.


Le capitalisme néolibéral n’est pas en mesure d’assurer le tournant nécessaire de sobriété, d’égalité et de réorientation radicale des consommations et des productions. Il entretient une dynamique productiviste, mais la ponction que l’humanité exerce sur son environnement naturel devient de plus en plus insoutenable. L’impact le plus marquant est le réchauffement climatique induit par le cumul des émissions de gaz à effet de serre (GES), avec des conséquences déjà visibles : l’instabilité climatique accrue, la montée des eaux, la fonte du pergélisol, les sécheresses, les crises alimentaires, etc. La question de la perte de la biodiversité se pose aussi : elle risque notamment de nuire aux rendements agricoles. De même, l’épuisement des minerais rares pourrait venir freiner la transition écologique. Éviter la catastrophe écologique devrait donc être la grande affaire de l’humanité aujourd’hui et dans les décennies à venir.

Deux points de vue sont souvent opposés. Pour le capitalisme vert, les innovations techniques peuvent permettre de poursuivre une forte croissance, sans mettre en cause le mode de production. Les hausses de prix (de l’énergie ou des matières premières), résultant de l’équilibre offre/demande vont inciter aux innovations et à la réorientation des productions ; les marchés de permis de droits à polluer vont décourager les activités nocives à l’environnement et encourager les activités vertueuses ; l’agriculture industrielle parviendra à compenser les effets de pertes de diversité pour l’agriculture, etc. Cette stratégie repose sur une confiance sans limites dans les capacités d’adaptation des entreprises capitalistes dont le fonctionnement n’est pas remis en cause.

Pour les partisans de la décroissance, le niveau de vie des pays industrialisés n’est ni soutenable, ni généralisable. La croissance ne doit plus être l’objectif de l’économie. Il faut passer par une phase de décroissance de nos consommations matérielles (même si les services pourront augmenter) pour atteindre un plateau d’activité soutenable. Mais les partisans de la décroissance n’indiquent pas le niveau de consommation matérielle qui serait compatible avec une activité soutenable. Ils sont obligés d’appeler les ménages à l’austérité, ce qui est odieux pour les pauvres des pays riches et pour la quasi‑totalité des pays émergents.

Ce n’est pas dans un choix abrupt entre ces deux stratégies que se trouve la solution. La transition écologique a besoin d’innovations qui permettent d’éviter les dégâts écologiques. De même, faire décroître certaines productions et certaines consommations est indispensable. Les consommations ostentatoires, les innovations coûteuses et à l’utilité sociale douteuse doivent être découragées, sinon interdites.

Une transition écologique et sociale

La transition écologique et le progrès social ne sont pas compatibles avec le capitalisme, a fortiori sous sa forme néolibérale, celle de la finance libéralisée et du libre-échange. Ils ne le sont pas avec la liberté laissée aux entreprises de rechercher un profit maximal sans avoir à se soucier des enjeux sociaux et environnementaux de leur activité. Par contre, le bilan économique et social accablant des pays dits communistes au XXe siècle a montré toutes les limites d’une centralisation excessive du pouvoir économique et politique. Les marchés et l’entreprenariat individuel sont indispensables pour que les produits correspondent aux désirs des ménages, pour que les entreprises innovent.

Les sociétés doivent à la fois, avec toutes les tensions que cela implique, se donner les moyens de piloter l’économie et laisser l’initiative privée se déployer. En pratique, cela signifie que, dans les limites de l’ordre public social, les PME puissent continuer à œuvrer librement, mais que les grandes entreprises, passée une certaine taille, soient gérées socialement. Pour certains secteurs comme l’énergie, l’eau, les autoroutes ou la production de certains médicaments, les nationalisations s’imposent. Développer un pôle bancaire et financier, réorienter le crédit est indispensable pour financer la transition écologique et économique. Les grandes entreprises doivent être gérées par les représentants de l’ensemble des parties constituantes (les apporteurs de capitaux, les dirigeants, les salariés) et prenantes (les clients, les fournisseurs, les collectivités locales, les représentants de la planification écologique…). C’est ainsi que l’on peut repenser le socialisme : non pas dans le sens où tout serait nationalisé, que toute initiative privée serait supprimée, mais dans le sens où l’évolution globale de l’économie serait socialement contrôlée. Ce ne serait plus l’accumulation du capital au bénéfice de quelques-uns qui primerait, mais le politique, expression du pouvoir des citoyens.

Dans ce cadre, le salariat lui-même est à repenser. Il demeure certes une forme d’exploitation, mais il est aussi synonyme de statut, de garantie de droits et de sécurité du revenu. Repenser le salariat, ce n’est plus demander son abolition, c’est étendre les garanties statutaires qu’il offre : en y réintégrant les travailleurs surexploités (les travailleurs « uberisés »…) ; en luttant contre la précarisation et la sous-traitance ; en étendant les possibilités de formation et d’évolution de carrière ; en réduisant les inégalités de revenus et de statuts, via notamment l’introduction d’un écart maximal de revenu au sein de l’entreprise ; en vivifiant le travail collectif, gage d’innovation et de bien-être au travail ; en permettant aux salariés et à leurs syndicats d’intervenir à tous les niveaux de gestion de l’entreprise. Simultanément, l’économie sociale et solidaire – qui est privée, mais non capitaliste – est à encourager. L’entreprise, à l’instar de l’économie elle-même, doit devenir républicaine.

La transition écologique peut être une chance pour la France, si elle sait en profiter pour se réindustrialiser, pour proposer des produits robustes, compatibles avec les contraintes écologiques, pour améliorer les rapports sociaux et les rapports dans les entreprises. C’est par la force de l’exemple, que la France trouvera les alliés indispensables en Europe et ailleurs dans le monde pour explorer d’autres voies que celles du néolibéralisme.

Sobre, la société doit aussi être solidaire et égalitaire. Le changement des modes de consommation suppose que soit mis fin à la consommation ostentatoire des plus riches, que l’on tourne le dos à l’obsolescence accélérée des produits, à la multiplication de nouveaux besoins et de nouveaux produits introduits à des fins uniquement mercantiles. C’est d’abord au niveau des entreprises que la réduction des inégalités est à opérer. Une société plus juste, cela passe par la hausse de la rémunération des emplois du soin (qui sont de fait à prédominance féminine) et de ceux des « premiers de corvée », et en sens inverse par la baisse de celle des emplois peu utiles socialement (les financiers, les publicitaires…). C’est ensuite par la fiscalité, en particulier par la taxation des revenus du capital et la hausse des droits des grandes successions ; c’est aussi en étendant la protection sociale (avec le 100 % sécu, a hausse du RSA et des prestations familiales…) et les services publics (pour la santé l’enseignement…).

Pour une alternative démocratique

L’organisation de la transition écologique ne peut être laissée aux seuls marchés. Elle ne peut pas non plus reposer sur les seules initiatives locales, même si celles‑ci sont précieuses. Ce sont les États, les gouvernements et les parlements, en tant que garants de l’intérêt général, qui, après de larges débats démocratiques et sociaux, ont la responsabilité de faire entrer les sociétés dans un processus de profonde transformation économique et sociale. La planification écologique et démocratique est un impératif, le rétablissement de la souveraineté nationale une nécessité.

Organiser une transition d’une telle ampleur suppose de rompre avec le capitalisme néolibéral et partant avec le principal levier par lequel il s’est imposé : la mondialisation marchande et financière. Pendant longtemps, beaucoup des opposants au néolibéralisme ont été réticents au protectionnisme et, plus généralement, à l’éloge des frontières, parfois assimilés au nationalisme et au racisme. Piège redoutable, comme s’il n’importait pas d’opposer à l’extrême droite une vision progressiste et républicaine de la nation. On ne peut d’un côté accentuer, par le libre‑échange et la finance libéralisée, la pression concurrentielle entre les États et les travailleurs et, de l’autre, prôner une coopération plus étroite pour lutter contre le changement climatique et le dumping social. Le référendum de 1992 et plus encore celui de 2005 ont été de véritables séismes politiques. Massivement, les classes populaires et moyennes ont exprimé leur refus d’être dessaisies de leur pouvoir citoyen.

Ni la transition écologique, ni le progrès social, ne sont compatibles avec le dessaisissement des citoyens, le transfert de pouvoir à des institutions supranationales ou à des « autorités administratives indépendantes » nationales, aussi soumises aux intérêts des puissants qu’elles sont éloignées des peuples. Le fédéralisme européen est une impasse. Pour redonner de la légitimité à l’Europe aux yeux des peuples, il faut la reconstruire sur de nouvelles bases. La boussole : la mettre au service des États sociaux nationaux – car les États sociaux ne peuvent être que nationaux (qui imagine des services publics ou des prestations sociales européennes ?) – et non au service de leur détricotage.

Le débat politique, la démocratie, vivent d’abord et avant tout dans le cadre de la collectivité des citoyens et du territoire sur lequel s’exerce leur souveraineté. Pour que l’économie n’échappe plus à la démocratie, il importe donc de réhabiliter les souverainetés nationales. C’est la condition pour que les citoyens retrouvent confiance dans le politique.

David Cayla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. « Penser l’alternative. Réponses à 15 questions qui fâchent », par cinq économistes atterrés – https://theconversation.com/penser-lalternative-reponses-a-15-questions-qui-fachent-par-cinq-economistes-atterres-226342

MIL OSI – Global Reports

Produits « éthiques » : promettre ne suffit pas pour convaincre les consommateurs

Source: The Conversation – in French – By Cindy Lombart, Professeure de marketing, Audencia

Offrir le meilleur produit au meilleur prix pour emporter la décision d’achat des clients ne suffit plus. Plus précisément, cela peut suffire pour emporter certains segments de clientèle, mais d’autres, de plus en plus importants, réclament davantage. Les industriels l’ont bien compris : observant les nouvelles demandes des clients, notamment en matière d’impact de leur consommation, les industriels ont développé des produits originaux pour y répondre. Différentes promesses ont émergé ces dernières années, du respect de la vie animale, aux produits « sans »… Mais quelles promesses sont les plus efficaces ? Quel est leur impact sur les intentions et les comportements d’achats ?

Les premiers résultats des recherches que nous avons menées indiquent que toutes les promesses ne se valent pas, qu’une solution efficace dans un secteur ne l’est pas forcément dans un autre. Pour arriver à ces conclusions, un détour est nécessaire pour comprendre comment les consommateurs réagissent aux promesses des producteurs et des distributeurs et quelle est l’influence de ces engagements sur leurs intentions et leurs comportements d’achat.

67 % de consommateurs cherchent à être plus responsables et voudraient pour cela ressentir davantage de bien-être (87 %) à travers leur consommation. Les motivations exprimées par les consommateurs pour expliquer ces comportements renvoient à des formes de désintéressement, qu’il s’agisse du respect de l’environnement (cité par 78 % des personnes interrogées), du bien-être des espèces animales (59 %) et/ou de leur santé (73 %). Rien d’étonnant donc si 85 % des consommateurs attendent des entreprises qu’elles les aident à atteindre ces objectifs, en agissant de manière responsable et en communiquant sur ces actions.

Prenons le cas du bien-être animal défini par l’Organisation mondiale de la santé animale comme « l’état physique et mental d’un animal en lien avec les conditions dans lesquelles il vit et meurt ». Cette promesse compte de plus en plus dans le choix des produits alimentaires et cosmétiques proposés par des fabricants et des détaillants. Ainsi, selon un sondage réalisé par YouGov, 80 % des Français se disent sensibles à la cause animale et 60 % affirment avoir une meilleure image des marques qui s’engagent dans cette direction.

Choisir le bon label

Pour les seuls produits alimentaires, 29 % des Français prennent en compte l’étiquetage concernant le bien-être animal lorsqu’ils font leurs courses. Cet étiquetage spécifique prend en compte 230 critères, pour définir un niveau qui va de A à E. Cette note intègre les conditions de la vie de l’animal, de la naissance aux conditions d’abattage, en passant par l’élevage et le transport. Pour les produits cosmétiques, 62 % des Français trouvent important que les produits bénéficient d’un label Cruelty Free (« sans cruauté »).

Si la référence à ce label a un impact sur les comportements des consommateurs, les voies empruntées méritent d’être précisées. Plus les promesses faites par les produits cosmétiques, en particulier, la promesse spécifique « non testé sur les animaux », sont perçues comme étant crédibles, plus les consommateurs ont une opinion favorable de cet engagement. Cette bonne opinion sera alors transférée sur le produit cosmétique considéré et conduira à l’intention d’achat déclarée de ce produit.

D’autres facteurs jouent un rôle sur les intentions d’achat, comme les normes subjectives, c’est-à-dire l’influence de la pression sociale perçue dans l’adoption ou non d’un comportement ainsi que la sensibilité éprouvée à l’égard des animaux. Des préoccupations, plus individuelles, comme l’attention apportée à l’apparence personnelle, expliquent également les réponses des consommateurs (attitude et intention d’achat) d’un produit cosmétique « non testé sur les animaux ».

À l’inverse, ces facteurs altruistes et individuels n’ont pas d’influence sur les réponses des consommateurs à propos des produits cosmétiques conventionnels. Les entreprises ont donc un rôle important à jouer pour accroître la connaissance des consommateurs sur la signification, la portée et la transparence de leurs promesses et des labels qu’elles mobilisent pour les communiquer.

Le « sans » plus convaincant

L’industrie du soin à la personne s’engage dans des démarches du même type. Elle multiplie les promesses faites aux consommateurs qu’il s’agit du respect de leur santé ou de l’environnement, que ce soit en ajoutant des ingrédients ou des processus de fabrication bénéfiques (promesse « avec ») ou en les retirant (promesse « sans »). Par exemple, quand cette industrie veut protéger la santé des consommateurs, elle leur propose des produits avec de l’huile d’avocat (promesse « avec ») ou sans parabène (promesse « sans »).

Nous avons étudié lesquelles de ces démarches ont le plus d’impact sur les clients potentiels de ces marques. Les promesses « sans » sont préférées par les consommateurs par rapport à une promesse « avec ». Elles sont mieux perçues par les clients potentiels. D’où des intentions d’achats plus élevées envers le produit de soin proposé, quel que soit le but ultime poursuivi (le respect de la santé ou pour celui de l’environnement…).

L’enjeu des marques de distributeurs

Sur ces sujets, les marques de produits alimentaires, cosmétiques ou de soin ne sont pas seules. Les grandes surfaces à prédominance alimentaire (GSA) sont aussi concernées car elles développent depuis longtemps des marques propres, dites aussi marques de distributeurs (MDD). Elles aussi cherchent à améliorer la qualité de leurs produits et être ainsi considérés comme davantage responsables. L’enjeu est de taille car la promesse engage non seulement le produit mais aussi l’image de l’enseigne.

Les engagements pris par les GSA concernent notamment le respect de la santé des consommateurs (par exemple, des MDD contenant moins de conservateurs, des produits d’origine naturels ou sans additifs) et le respect de l’environnement (des MDD dont la production préserve les ressources naturelles, limite l’usage des pesticides ou dont le packaging est réduit). Là encore, toutes ces promesses n’ont pas la même valeur aux yeux des consommateurs et n’entraînent pas les mêmes conséquences. Les promesses relatives au respect de la santé des consommateurs (et notamment la promesse indiquant que les MDD contiennent des ingrédients d’origine naturelle) sont, sur ce point, supérieures aux promesses liées au respect de l’environnement. En effet, ces engagements renforcent la confiance des consommateurs dans les MDD standards, ce qui améliore ensuite leur attitude et leurs intentions de revenir et de recommander les magasins du détaillant. De surcroît, cette confiance renforce l’image responsable du détaillant. Néanmoins, pour être pleinement crédible, cette action doit s’inscrire dans la politique globale menée par le détaillant.

L’ensemble de nos travaux révèle que les actions entreprises par les marques ne sont pas vaines. Toutefois, toutes les formes d’engagement ne sont pas équivalentes et n’auront pas le même impact sur le comportement du consommateur. Les promesses les plus efficaces diffèrent selon le secteur d’activité, le produit… Dans tous les cas, les entreprises ne doivent pas se contenter de promettre mais doivent aussi apporter des preuves pour crédibiliser leurs promesses, si elles veulent vraiment influencer les choix des consommateurs.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Produits « éthiques » : promettre ne suffit pas pour convaincre les consommateurs – https://theconversation.com/produits-ethiques-promettre-ne-suffit-pas-pour-convaincre-les-consommateurs-226263

MIL OSI – Global Reports

Photographier l’éclipse solaire, un rappel du sentiment de faire partie de quelque chose de plus grand que nous

Source: The Conversation – in French – By Amy Friend, Associate professor, Visual Arts Department, Brock University

Si vous faites partie des millions de personnes qui souhaitent voir l’éclipse solaire totale du 8 avril, il y a de fortes chances que vous preniez des photos de votre expérience.

Et, comme beaucoup d’autres avant vous, vous trouverez peut-être que ces photos ne sont pas à la hauteur de vos attentes, de vos expériences et de vos souvenirs de l’éclipse.

Nous vous proposons quelques conseils techniques pour la photographie d’éclipses. Nous nous demandons aussi pourquoi nous sommes si nombreux à vouloir photographier ce type de moments collectifs d’émerveillement et d’étonnement, en réfléchissant au contexte plus large de la culture visuelle autour des éclipses solaires à travers l’histoire.

Défis techniques et sécuritaires

Photographier une éclipse solaire présente quelques défis techniques et de sécurité. Vous pouvez vous préparer, notamment en vous assurant que votre appareil photo (même les téléphones intelligents !) est équipé d’un filtre solaire. Il est également important de vous familiariser avec votre appareil photo et de vous entraîner à l’utiliser dans différentes conditions de luminosité avant l’éclipse.

Les changements de qualité de la lumière seront rapides et drastiques, c’est pourquoi il sera important de se familiariser avec l’ouverture et la vitesse d’obturation le jour J. Un trépied permet de réduire le flou lorsqu’une exposition plus longue est nécessaire. S’il y a des nuages, il est toujours important d’être prudent et de porter des lunettes de protection. La capacité à capturer une image dépendra de l’étendue de la couverture nuageuse. L’expérience visuelle sera différente, mais le ciel s’assombrira toujours, créant des changements dans la couleur et la façon dont la lumière passe à travers les nuages.

Il existe également des façons plus créatives d’envisager la capture de l’expérience, notamment la fabrication d’un projecteur à sténopé.

Ce dispositif simple peut être fabriqué à partir d’une boîte en carton et permet à la fois de regarder en toute sécurité et d’obtenir des images intéressantes.

Premières photographies d’éclipses

Si vos photographies ne sont pas conformes à vos attentes, vous n’êtes pas seuls. En 1842, le physicien italien Gian Alessandro Majocchi a tenté de photographier l’éclipse solaire totale qui a eu lieu en juillet de cette année-là. Les documents qui subsistent indiquent qu’il n’a eu qu’un succès partiel : les images de son daguerréotype — une des premières techniques de photographie inventées par Louis-Jacques-Mandé Daguerre en 1839, c onsistant à traiter une plaque de cuivre recouverte d’argent avec des produits chimiques sensibles à la lumière — sont perdues.

Majocchi a pu prendre quelques photos avant et après les moments de l’éclipse totale.

Un rappel des sentiments d’émerveillement et de partage

Au-delà des aspects techniques, une photographie réussie de l’éclipse constitue un rappel durable des sentiments d’émerveillement et de faire partie de quelque chose de plus grand que nous.

C’est le genre d’événement qui rassemble les gens. L’expérience partagée se poursuit longtemps après la fin de l’éclipse grâce aux photographies qui servent de marqueurs de mémoire et de preuve tangible que vous étiez là pour assister à l’éclipse. Et même si beaucoup d’entre nous finissent par avoir des photos similaires, il y a quelque chose de significatif dans le fait qu’autant de personnes prennent des photos du même événement.

Par exemple, prendre des photos d’événements peut augmenter le plaisir que l’on en retire, comme l’ont montré les recherches conduites par Kristin Diehl, professeure de marketing, et ses collègues.

La photographie nous permet de conserver des souvenirs, de les partager avec d’autres et de revivre ces moments à l’avenir. Ce qui fait qu’une image se distingue des millions d’autres partagées chaque jour sur les médias sociaux tient souvent à une combinaison de facteurs : son impact visuel, l’histoire qu’elle raconte et la résonance émotionnelle qu’elle peut susciter chez les personnes qui la regardent. En d’autres termes, une grande partie de ce que nous partageons concerne l’expérience au sens large.

Une preuve d’une expérience vécue et une connexion dans le temps

Les photographies répondent également depuis longtemps à un besoin profond de preuve de l’expérience vécue — « nous y étions ». Qu’il s’agisse d’une image floue de la Joconde prise par un téléphone portable ou d’un cliché de l’éclipse, ces images servent de rappels tangibles de nos expériences. Elles valident nos souvenirs, ancrent les histoires que nous racontons et nous permettent de partager ces moments avec d’autres.

Regarder des images de personnes observant une éclipse à d’autres époques peut également offrir un sentiment partagé de connexion à travers le temps. Il s’agit d’un phénomène qui nous dépasse et ces images nous relient aux expériences des générations précédentes.

Les photographies scientifiques d’une éclipse, comme celles que Thomas Smillie a réalisées pour le Smithsonian en 1900, ont pu être saluées comme des avancées technologiques. Pourtant, les photographies de personnes rassemblées, qui s’arrêtent un instant et regardent le ciel ont quelque chose de particulièrement fascinant.

Les photographies donnent des indications partielles

Un daguerréotype d’une éclipse solaire pris le 28 juillet 1851 est la première photographie réussie connue de la couronne solaire. Cette image a été réalisée à l’Observatoire royal prussien de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad, en Russie) par Johann Julius Friedrich Berkowski à l’aide d’un télescope. L’exposition de 84 secondes a permis de capturer l’instant de manière particulièrement détaillée.

En 1890, le American Journal of Photography écrivait : « la photographie n’a probablement pas été aussi utile dans aucun autre domaine scientifique, et certainement dans aucune branche de la science astronomique, que dans l’étude des éclipses solaires ».

Comme le notent les rédacteurs, la photographie peut certainement façonner notre compréhension du monde, contribuer à créer de nouvelles connaissances et fournir des indications précieuses sur la nature de l’univers.

Mais il y a aussi une limite à ce que la photographie peut faire. L’expérience d’une éclipse solaire va au-delà du visible : les températures chutent, le comportement des animaux non humains peut soudainement changer et de nombreuses personnes font état de réactions émotionnelles ou spirituelles inattendues.

De nombreuses réponses visuelles et artistiques

En outre, il existe une longue tradition d’enregistrement des éclipses sur différents supports visuels. Par exemple, la dynastie Shang en Chine fournit un enregistrement visuel des éclipses solaires par le biais d’une écriture ancienne gravée sur des os d’oracle.

Un tableau de 1610 de Peter Paul Rubens, intitulé « L’élévation de la croix », illustre la longue et complexe histoire des liens entre des phénomènes tels que les éclipses et les croyances religieuses. Au début du XXe siècle, le peintre américain Howard Russell Butler a réalisé une série de peintures dans lesquelles il se concentrait sur les aspects de l’éclipse qu’il était difficile de saisir avec la photographie en noir et blanc — la qualité changeante de la lumière et des couleurs du ciel.

La vidéo accompagnant Black Star de David Bowie (2016) s’ouvre sur une éclipse solaire totale.

Vidéo de la chanson « Black Star » de David Bowie.

Il s’agit d’une imagerie visuelle évocatrice, qui complète les thèmes de la chanson relatifs à la mortalité, tout en faisant un clin d’œil aux interprétations anciennes de l’éclipse, comme symbole d’un malheur imminent. Ce symbolisme était d’autant plus poignant qu’il s’agissait du titre du dernier album studio de Bowie.

Ces types de réponses artistiques aux événements célestes mettent en avant l’interprétation personnelle et les réactions émotionnelles qu’ils suscitent. Elles mettent également en évidence et reflètent les significations sociales, culturelles et spirituelles associées à une éclipse solaire.

Keri Cronin a déjà reçu des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Amy Friend ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Photographier l’éclipse solaire, un rappel du sentiment de faire partie de quelque chose de plus grand que nous – https://theconversation.com/photographier-leclipse-solaire-un-rappel-du-sentiment-de-faire-partie-de-quelque-chose-de-plus-grand-que-nous-226702

MIL OSI – Global Reports